Lhassa, 1924

Publié le par Michèle

  Le jour suivant me vit perchée, parmi un grand nombre de curieux, sur un éperon rocheux de la colline du Potala pour regarder défiler la grande procession appelée "Serpang". Jamais au cours de mes longs voyages je n'ai contemplé de plus beau spectacle. La procession comprend plusieurs milliers de figurants en grand costume religieux ou de fantaisie rappelant les anciennes modes chinoises, mongoles et thibétaines. Ceux-ci portent des centaines d'étendards et de bannières, des centaines de parasols en brocard rouge ou jaune sur lesquels sont brodés des dessins symboliques ou des inscriptions. Des dignitaires ecclésiastiques marchent sous les dais, escortés par des thuriféraires et des serviteurs portant des éventails. De temps en temps, le long serpent chatoyant que forme le défilé arrête sa marche ; alors, de jeunes garçons dansent, des hommes portant des timbales sur leur dos exécutent des évolutions, tandis que des musiciens suivent leurs pas en frappant en cadence sur ces instruments. Les éléphants du Dalaï-lama sont du cortège, entourés d'animaux fantastiques en papier, à la mode chinoise, qui se contorsionnent de mille manières. Enfin viennent des dieux locaux précédés et suivis de guerriers en armure et des servants de leurs temples.

   La procession défile aux sons d'airs variés : graves, solennels, lorsque les immenses trompettes thibétaines emplissent l'air de leurs mugissements profonds et d'une fraîcheur délicate charmante, quand vient le tour de l'orchestre mongol.

   Parmi cette féerie, l'encadrant, la complétant, se dressent le gigantesque Potala dont les pentes rocheuses sont couvertes par le foule des lamas spectateurs et le Chog-pour-ri au sommet pointu.

   De l'endroit où j'étais assise, je dominais de haut la ser pang, la cohue multicolore des Thibétains en habits de fête et, par-delà, Lhassa étendue dans la plaine. Les toits d'or de ses temples lançaient de brefs éclairs comme pour répondre à ceux partant du chapeau rutilant qui, très haut dans l'azur, coiffait le palais du lama-roi. Le soleil merveilleux de de l'Asie centrale illuminait le paysage, intensifiait les couleurs, faisait rayonner les montagnes blanchâtres à l'horizon. Tout vibrait, gorgé de lumière, semblant prêt à se transformer en flammes... Spectacle inoubliable qui, à lui seul, m'eût payée des fatigues que j'avais endurées pour le contempler.

Extrait (sauf photo) de : Voyage d'une parisienne à Lhassa

Alexandra David-Néel 

ed. Plon 1927

Voir ici une photo d'Alexandra David-Néel avec le lama Yongden devant le Potala en février 1924 :

http://www.alexandra-david-neel.org/images/dn55.jpg

Publié dans Lectures

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article